La suspension des ventes d’entreprises confisquées en Tunisie suscite des interrogations

Depuis plus de deux ans, la vente d’entreprises confisquées en Tunisie est suspendue, ce qui suscite des interrogations sur l’avenir de ces institutions et la possibilité de les intégrer au secteur public. Cet arrêt fait suite aux directives du président tunisien Kais Saied, qui s’oppose aux ventes afin de préserver les fonds publics.

Assiste-t-on à une évolution vers une nationalisation totale de ces entreprises ? Ou des solutions alternatives sont-elles à l’étude ? Cette question reste ouverte, surtout en l’absence de stratégies claires de gestion de ces institutions.

Des accords suspendus et l’absence de nouveaux accords

Karama Holding gère une soixantaine d’entreprises confisquées aux proches de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali. Depuis le départ de son ancien directeur, Adel Jarrar, en février 2023, aucune nouvelle vente n’a été réalisée sous la direction de Sami Ben Jamaa, à l’exception d’une opération préétablie de vente d’une partie du capital de Med Telecom, qui exploite la station de radio Mosaïque FM.

En 2023, Karama Holding a lancé trois appels d’offres pour vendre des actions de quatre sociétés confisquées, comme Nouvelair Tunisie et la compagnie d’assurance UPCAR, mais aucun n’a donné de résultats tangibles. Cela est en grande partie imputable à l’opposition du président Saied, qui rejette la vente des actifs de l’État, qualifiant de « gaspillage des fonds publics ».

La nationalisation comme alternative possible

À plusieurs reprises, Kais Saied a critiqué la gestion des actifs confisqués. Lors de sa visite au groupe de médias Dar Assabah en juin 2023, il a condamné la vente de la radio Shems FM, arguant qu’elle avait été vendue à un prix excessivement bas. En septembre de la même année, il a accusé des parties non identifiées d’avoir vendu des biens appartenant à l’État à bas prix.

Plus tard, en décembre 2024, une décision de justice a déclaré Radio Tunisie en faillite, ce qui a conduit à l’intégration des employés de Shems FM dans le secteur public. Cette décision reflète l’évolution de l’État vers la nationalisation totale de certaines institutions médiatiques, comme on l’a vu précédemment avec la radio Zitouna en 2021 et l’intégration de Dar Assabah avec SNIPE, l’éditeur officiel des journaux La Presse et Essahafa.

Ces décisions sont considérées comme faisant partie d’une stratégie plus large de restructuration du paysage médiatique tunisien, suscitant des inquiétudes quant au déclin de la diversité des médias et au contrôle accru de l’État sur les contenus. La fusion de Dar Assabah avec SNIPE soulève des inquiétudes supplémentaires quant à l’indépendance des médias et aux défis posés par des changements structurels importants.

Contrôle des médias et restrictions des libertés

La Tunisie semble s’orienter vers un modèle médiatique dominé par le pouvoir exécutif, avec des inquiétudes croissantes quant au rétrécissement de la liberté d’expression et au contrôle croissant de l’État sur les institutions médiatiques. Les décisions récentes, notamment la fusion de grands médias au sein d’entités affiliées à l’État, indiquent une tendance claire à la réduction des voix indépendantes et au renforcement du contrôle sur le secteur des médias.

Répression du journalisme et restriction des opinions dissidentes

Les journalistes en Tunisie ne travaillent plus avec le même niveau de liberté qu’avant. Les restrictions imposées au journalisme indépendant se multiplient, avec des menaces directes et indirectes contre les journalistes qui couvrent des sujets sensibles. En l’absence de garanties juridiques protégeant les médias contre les interférences politiques, le paysage médiatique tunisien risque de devenir un outil de propagande gouvernementale plutôt qu’un organisme de surveillance indépendant.

Contrôle de l’État sur les ressources économiques

Les politiques de Kais Saied ne se limitent pas au secteur des médias mais s’étendent à des efforts plus larges pour consolider le contrôle de l’État sur les principales ressources économiques. La suspension des privatisations et l’interdiction de vendre les entreprises confisquées reflètent une évolution claire vers la nationalisation de l’économie et son maintien sous contrôle de l’État. Bien que ces politiques soient présentées comme des mesures de protection des fonds publics, elles peuvent, en réalité, alourdir la charge financière de l’État et affaiblir l’environnement des affaires.

Quel avenir pour les entreprises confisquées ?

Tirées entre nationalisation et stagnation, les entreprises confisquées sont confrontées à un avenir incertain. Sans stratégie claire de restructuration ou d’intégration dans de nouveaux plans d’investissement, la question demeure : la Tunisie sera-t-elle en mesure de tirer parti de ces atouts pour relancer son économie, ou la décision de suspendre les ventes ne fera-t-elle qu’alourdir le fardeau financier de l’État ?

Dans le même temps, les investisseurs locaux et étrangers surveillent de près la position du gouvernement à l’égard de ces entreprises, en particulier dans un contexte de détérioration du climat d’investissement et de politiques économiques floues. Le gouvernement saura-t-il trouver un équilibre entre la préservation de ces institutions et la recherche de solutions durables qui assurent leur continuité sans en faire un fardeau pour l’État ?

Massin Kevin Labidi

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